Laumond à l'espace Commines
Il court, il court le Laumond, et nous emmène dans une vision kaléidoscopique du monde. Vision complexe, vision humaniste et humoriste, vision globale et morcelée, vision paradoxale. Son univers où domine le blanc est une incitation à l'intériorité. À chaque événement, il confirme une avancée puissante, précise son univers immaculé et annonce les étapes prochaines au service de son foisonnement intérieur.
Le contenu qui se cache derrière ses boîtes-narrations, ses volumes emboîtables, ses constructions-puzzle, est dense. Ce sont des petites paraboles, elles mettent en balance et démontrent la valeur équivalente du petit et du grand, du fort et du faible, du positif et du négatif, du principe masculin et du féminin, des chromosomes de la perfection et de l'imperfection, du temps, de l'espace... Dans ses "boîtes", l'équilibre entre des valeurs ou positions hiérarchisées est fragile, mais maintenu : équilibre, parce que comment juger et peser? Fragile, car tout cela tient à si peu... Son humanisme émerge doucement, presque à son insu...
Dans la lignée de Fischli and Weiss et de leur petites sculptures présentées récemment à la Tate Modern, il nous offre des interrogations visuelles, sur tout ce qui nous entoure, le monde de l'art, ses références et la fin de la peinture, les artistes et mouvements qui l'ont précédé, Duchamp, Fontana, mais en analyste subtil et fécond, il apporte sa réponse esthétique et formelle, sa vision, son jeu kaléidoscopique et une esthétique de la perfection.
Ses grands volumes racontent l'histoire de notre société, de ses marques artificielles, de ses repères qu'il décompose et recompose dans une fresque ludique. Il détourne l'appropriation d'un nom, celui de l'artiste, d'une marque, d'une couleur, et autres attributs extérieurs dont il extrait le sens pour en montrer la limite.
Sa conception formelle de l'art est tout à fait singulière, comme l'est son écriture. Langage de signes, cohérence, élaboration et construction rigoureuses, codifiées, extrêmement précises, son travail a une solidité remarquable.
Remarquable dans les deux sens du terme, par son unicité, c'est du Laumond, reconnaissable entre tous, sans emprunts, juste patiemment construit à la force d'une assiduité et d'une quête intense, et remarquable par la précision et la grande qualité de sa facture. Il semble avoir retenu dans la réalisation de ses travaux, le respect qu'en avaient les anciens et la patience d'une élaboration sans faille, sans concessions. Tout est fait pour durer.
Une boîte - une histoire, elles s'enchaînent, enrichies à chaque fois de l'étape suivante. C'est un phrasé fluide et crypté, une série de symboles et d'images qui racontent ses mondes, leur complexité, leur ambivalence paradoxale et leur possible unité.
Foisonnement et ramifications, tout est séparable tout en étant relié, comme notre monde Internet, ce Web qui caractérise notre époque est une trame sous-jacente de son œuvre. Car Laumond est inscrit dans notre époque, il l'incarne avec une distanciation faite d'intelligence et d'humour. Il a sa vision, puissante, foisonnante et nourrie. Son travail laisse à réfléchir, à méditer, une vision allégorique n'est jamais simple, et elle demande à son observateur sa part de travail, celle de Laumond nous rend actifs et méditatifs.
Il y a en lui une ligne de démarcation subtile entre le sentiment d'urgence et la patience nécessaire à son jeu de construction.
À l'espace Commines, on entre dans son œuvre avec un code, on enfile des chaussons, et alors seulement, on pénètre dans l'œuvre, car l'espace qui lui est dédié est une œuvre en soi, il la caractérise comme telle, une et divisible, un tout et en même temps l'ensemble de ses unités.
Complexe? Et pourtant simple, tout est dans tout, et il y a un début et une fin...
La pièce qui ouvre l'œuvre globale qu'est l'espace de l'exposition est sa date de naissance, trois plaques, une longue chaîne et une clef. Elle prendra tout son sens à la fin du parcours lorsque la boîte finale parle de la fin de sa vie, petit caveau virtuel, sans date, sans chiffre, juste là comme rappel que tout finit sur cette terre, allégorie des vanités, Penone n'est pas loin. L'angoisse existentielle de Laumond est prégnante.
Elle nourrit et ponctue son œuvre, elle lui donne cette force en marche, lui intime l'urgence de créer, encore et encore, rythme sans fin, dans l'urgence d'accoucher d'une vision dont il ne mesure pas encore lui-même la portée.
Il est ici et il est déjà loin, emporté par son élan créatif, dans la prochaine étape. Se laisser emporter, et jusqu'où? Cela semble être la question qui l'anime. La conscience de ce qui l'habite le dépasse et l'angoisse, jusqu'où ira-t-il, à l'écoute de cet élan fondamental qui le nourrit et l'entraîne?
Toujours partagé entre cette force puissante qui le pousse et son besoin de maîtrise qui donne à son travail cette forme si aboutie, il avance et va continuer à nous étonner. Laumond, un artiste qui marquera son époque, une œuvre à collectionner.
